Eugenio d'Ors
GLOSAS EN OTRAS LENGUAS
TROIS NATURES MORTES     
(traduites par Mercédès Legrand et Valery Larbaud),
Le Roseau d'Or, núm. 4 de Chroniques, Librairie Plon, París, 1927, pp. 307-314; recogido en Eugenio d'Ors, Au Grand Saint-Christophe,
Editions R. A. Corrêa, Paris, 1932, pp. 243-248
 
ROSES ET CITRONS.— La main —à présent invisible, à présent lointaine—, avant de refermer la porte sans bruit —mais un bruit qui se serait fait entendre l'aurait empêchée de s'eloigner—, a laissé —testament— trois fleurs dans un vase de Talavera. Trop molles pour des roses, et trop parfumées pour des pivoines: trois fleurs épanouies.
Cependant, posés sur la nappe qui fait des plis à leur base, il y a trois citrons jaunes, concrets, ronds, définis, chacun avec son double mamelon: ainsi ces petits villages compacts dans les replis d'un système orographique.
Dans ce voisinage des citrons les roses languissent. Si elles sont atrophiées et amollies au point de ressembler à des pivoines, c'est là oeuvre, magie, jettatura des citrons.
Rendant le bien pour le mal, défaillantes dans l'encolure du vase, elles coupent et tranchent —d'une haleine délicate— l'astringente âpreté de leur odeur.

LA DINDE.— Non, elle ne peut être candide, l'atroce nudité de cette masse de graisse déplumée. Prés d'atteindre à la pureté de l'or, le jaune se stylise dans les rondes éminences. Il y a cependant un rose douteux dans les courbes, et un bleu ambigu dans les profondeurs.
Et il y a la peau. La peau froide et qui pourtant semble avoir froid. Qui tend, tirant jusqu'à la rompre, çà et là, sa trame de serviette éponge. Et qui se fripe, déjà calleuse dans sa quadruple articulation repliée et dans les rides molles laissées par la fatigue de tant de pontes.
Et les deux blessures. Épouvantable, entre des plumes, celle du cou, par où se vide le sang. Et risible, nette, avec quelques poils, celle par où se vidèrent les entrailles.
El l'oeil. Mal fermé, menu, rond, noir, avec un petit point lumineux —qui est presque une vie, —presque un reproche.

INTÉRIEUR XIXe SIÈCLE.— Atelier de peintre d'il y a un demi-siècle, avec le secret —déjà oublié— des recoins si chauds à la vue. Comme celui-ci, avec le grenat de ses velours et le bronze de ses candélabres, et le reflet —immobile à force d'intensité— d'un grand feu dans la cheminée.
Deux accords: le jouet chinois en ivoire, et ce petit tas formé d'une paire de longs gants étroits, des chevreau crème, qui ont enlacé ici leur fatigue de s'être étirés depuis les coudes… Et le bouquet d'oeillets bordeaux, et le violon couleur de sang caillé, avec la noirceur de ses ouïes, deux accords de plus.
Deux flûtes de Bohême, où reste encore, à d'inégales hauteurs dans le verre, un vin blond, sembleraient pouvoir révéler le galant mystère qui a produit, à cette heure tardive, l'union des gants, de l'ivoire, des oeillets et du violon.
Mais le tain, dans son cadre d'ébène historié, est placé très haut, tout embué. Et il ne reflète plus que la solitude dans une émulsion de fantômes.
 
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Última actualización: 30 de noviembre de 2006