Eugenio d'Ors
HISTORIA DE LA FILOSOFÍA
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LEIBNIZ
Dictionnaire philosophique portatif.
L'Europe et la Philosophie allemande
(Le Courrier de Genève —«Le Courrier littéraire. Supplément hebdomadaire», nº 44, 2-I-1943, p. 3)

Regret.- Que j'aurais aimé, répondant à une invitation toute récente des philosophes réunis à la «Deutsche Geisteswissenschaft», me retrouver à Nuremberg, après trente années d'absence; à cette époque, par un beau crépuscule, accoudé au parapet d'un pont sur la Pegnitz, un jeune étudiant espagnol sur le point de regagner à regret ses pénates, disait un nostalgique adieu à un printemps d'heureux apprentissage, de liberté et d'amour!… Le sort en a voulu autrement; et on aurait tort de s'en plaindre, par des temps comme les nôtres, placés plutôt sous l'enseigne du Jugement apocalyptique à la «Schautuer» que de la floraison poétique à la «Pegnitzorder».
Ce souci ne pouvait être absent des controverses prévues pour notre «Tagung», même si le caractère philosophique de celle-ci leur faisait un devoir de porter son intérêt capitalement sur les choses éternelles. Le sujet proposé: «L'Europe et la philosophie allemande» se prêtait, certes, à ce double développement. Autant qu'on pouvait en juger, d'après le titre, il s'y agissait d'un échange de vues concernant l'influence de cette philosophie, soit sur l'histoire des autres peuples du continent, soit sur les perspectives de la nouvelle Europe, dont chacun attend l'épiphanie, pour la fin de la guerre.
Or, si le passé européen peut différer de l'avenir, le sens et l'entité de l'influence en question n'en sont pas moins susceptibles de varier, suivant les époques et suivant les traditions différentes qu'on se plaît à suivre et à mettre de préférence à l'honneur.
Changement.- Il paraît évident à tout historien de la culture que rien n'a mieux rassemblé que le XIXe siècle et son essentielle tendance historiciste sur la connaissance comme sur la vie, à la note de dynamisme, caractéristique de la pensée allemande, dans la période comprise entre la «Critique de la Raison pratique» et le discours de Zarathustra. La grande figure de Hegel la domine entièrement de même que l'idée de devenir, les thèses de l'évolution, le goût pour l'évolution et sa croyance, voire sa superstition. L'Europe a été hegélienne dans la mesure où elle a été romantique.
Tout cela porte comme corollaire politique le règne de la dispersion et de cette diversité dont —archétype germanique aussi—, Herder s'était constitué maître et prophète avec son génial escamotage de la notion de «Peuple», de Peuple unique, chère à Rousseau, transformée en notion «les peuples», au pluriel, doué chacun de cette même qualité divine que le réveur du Contrat Social attribuait à son mythe. Cette divinité représentait à son tour la canonisation des spontanéités locales auxquelles on a tenu pendant tout un siècle. Ces spontanéités, on les cherchait, on les inventait au besoin.
Il arrive aujourd'hui que se soit justement en elles qu'on trouve le principal obstacle où se heurte ce que le peuple allemand considère son droit et sa mission. Voué à l'unité, en contradiction radicale avec l'ideal nationaliste de l'époque antérieure, le Reich s'est dressé comme le champion de l'unité d'Europe, de la reconstitution de l'Empire par antonomasse, du Saint Empire romain-germanique… Trouvera-t-il, donc, dans sa propre tradition philosophique des lumières favorables au nouveau dessein? Ou bien se verra-t-il contraint, dans l'angoisse des réalités circondantes, a conduire son action par des voies différentes de celles qu'aurait toujours parcouru sa pensée?
Leibniz.- Bien des retours vindicatifs ont été préconisés par la mode philosopique au cours de ces dernières —ou avant-dernières— années. Successivement et chaque fois à titre impératif et péremptoire, nous avons entendu prôner un «retour à Kant», un «retour à Hegel», un «retour à Aristote»… Le moment vient peu-être de réclamer et d'agiter un mouvement de retour à Leibniz et d'audience pour la pensée leibnizienne.
Et cela non seulment du fait que, dans le détail de l'anecdote biographique, Leibniz ait fait toujours figure de grand européen, mais parce que, substantiellement, dans l'essence des idées, celles de l'auteur de la «Monadologie», en faisant des parts équitables au dynamisme —qui est déjà «appetition» dans les monades— et au rationalisme —leur «perception»—, nous apportent le remède à ce que pourrait contenir de menaces d'apocalypse la dynamique turbulence vitale.
Par la hauteur de sa pensée et l'étendue universelle de sa science; par son savoir encyclopedique; par le mérite d'une sensibilité égale devant les problèmes spéculatifs les plus sublimes et devant les questions pratiques les plus immédiates; par sa vocation d'unité dans le connaissance, Leibniz renferme en lui la leçon que de la philosophie allemande peut attendre l'Europe que naît.
Lulle.- Tel est le message que, faute de pouvoir payer d'une présence personnelle l'honneur de l'invitation reçue, j'ai cru devoir adresser à la réunion philosophique de Nuremberg. En l'envoyant, j'ai demandé aussi la permission d'associer, à l'ombre tutélaire du philosophe de Leipzig, celle d'un mien compatriote, celle d'un philosophe de Majorque, plus lointain dans les siècles celui-ci, de doctrine, certes, moins sûre, de lecture plus ardue pour nous autres, hommes modernes, mais chez lequel les inspirations fondamentales de l'unité ont fleuri avec une non moindre vigueur. L'ombre, dis-je, de Raymond Lulle, gran ambitieux, en son temps, de science universelle, de langue universelle, d'union de la chrétienté.
Puissent ces maîtres nous redonner tous, avec la noblesse de leur doctrine, les impatiences de leur fièvre.


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Última actualización: 15 de octubre de 2008