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Eugenio d'Ors
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RETRATOS LITERARIOS
JORGE GUILLÉN
EUGENIO d'ORS
(Hispania, Janvier-Mars 1921, pp. 1-4)
Journaliste? Philosophe? Les deux métiers à la fois, amalgamés dans la combinaison la plus originale; métier neuf et unique. Pas un philosophe journalistique, —ce que équivaudrait à frivole, léger, médiocre,— mais philosophe périodique, ou de la périodicité. Voici sa formule précise et alambiquée: «consommer l'anecdote sut l'autel de la catégorie». Les anecdotes lui sont procurées par l'actualité, annotées jour par jour sur la feuille quotidienne. Dans ce sens, journaliste, historien de chaque hier, analyste civil, chroniqueur de la ville et de l'époque. Mais, avec un effort tel, pour dominer ce gargouillement quotidien d'anecdotes, une telle habileté pour les saisir par leur queue idéologique, que l'actualité se transmute, par l'effet de son regard magnétiseur, en socle de Concept.

Et le Concept, encore humide de limon historique, suintant de réalité, se hausse entre ses frères plus décharnés. Et ainsi, le «Glossaire», miroir de la diversité, s'ordonne comme una stricte philosophie, miroir de l'Unité. Eugenio d'Ors réalise ainsi le tour de force invraisemblable de celui qui présente un commentaire, sujet à tous les accidents et variétés de l'actualité journalière, mais enclavé dans les catégories de l'inactualité éternelle. Dilettante, par un côté, avec une curiosité que ne se satisfait jamais et à laquelle on ne pourrait pas trouver de barrières. Tout est spectacle pour ce Spectateur total: mathématiques, biologie, droit, économie, esthétique, moeurs; il a les opinions d'un revolutionnaire qui veut tout réfléchir, le vol du papillon, la danse de la danseuse et la quiétude de l'insecte, le bleu de la Méditerranée et la brume d'une pensée nordique. Il parle de tout, se mële de tout, se plait à tout. Et mème avec les excès et les défauts du bonimenteur, de l'entremetteur, du gourmet. Curiosité si vaste qu'elle n'est pas sans péché. Oh! anxiété inconsidérée, lascive, de la connaissance totale, de la jouissance totale; personne n'atteignit jamais cette largeur d'horizon, ce souffle vivificateur de haute mer, de hautes étoiles. Parce qu'il n'y a pas d'étoile qui ne désirerait, —dans l'immensité astrale,—la volupté de ce Don Juan cosmique, anxieux de connaissance infinie, Don Juan de l'Actualité d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Mais ce monstre, cette hydre aux mille têtes, ne le dévorera-t-il pas comme tant d'autres? Qui dira, en termes justes, la férocité de ce monstre qui consomme, sans gloire et sans profit, tant de vies de commentateurs et d'annotateurs? Pour presque tous ceux qui s'approchent de l'Actualité et tentent de la capter dans la feuille de journal, le journal —comme a dit récemment Ramón Pérez de Ayala:
«C'est le tonneau, tel un abîme,
des Danaïdes. Il ne se satisfait jamais.
Vous versez dans l'insondable tonneau
un fleuve fuyant, sonore et fantastique,
toujours abondant
toujours divers,
—le lacrymoniens Héraclite
compare la vie avec un fleuve.—
Mais le tonneau est toujours vide.
Enfin, un jour, vous disparaissez.
Ce tonneau a emporté votre vie.
Et d'autres vies fuyantes continueront à se verser
dans ce tonneau, tel un abime».
D'innombrables naufrages, oui, dans le gosier insondable du monstre Actualité, hydre, dragon, tarasque. Peu se sauvent. Peu la vainquent. Et qu'est-ce qu'ils sauvent ceux-là, si ce n'est leur nom? Les journalistes illustres sony una doble épitaphe sur une tombe, dans laquelle il reste seulement des cendres de ces pages, créées et mortes dans la même journée.

Le grand journaliste se sauve lui-même, tout au plus, mais point son oeuvre.

Eugenio d'Ors réalise le miracle quotidien d'imprimer ses paroles légères et volantes, nées au hasard de chaque jour, en marbre, en bronze, en matière durable et résistante à l'usure du temps.

Toute collection de ses «pages choisies» serait inhumaine et injuste, parce que la plus débile, la plus faible, la plus inconsistante a vu le jour du matin —ce matin de bonne heure, alors que l'encre fraîche du journal est la fragrance la plus prématurée, la plus précoce, la plus matinale, la plus fraîche de toute la matinée— cristallisée en cristaux parfaits et incorruptibles. Cet écrivain écrit son article comme un classique écrit son chef-d'oeuvre: en termes parfaits et définitifs. Cette perfection réelle contraste parfois avec la faiblesse du fond. Mais, même lorsqu'une glose n'est peut-être pas autre chose qu'un peu du vent matinal, ce vent cristallise une beauté durable. Pour cela, Eugenio d'Ors sent, et fait sentir, la vision classique de l'univers et de l'art. Sa manière est celle d'un classique, dans toute la pureté et le resplendissement serein que ce vocable peut assumer. Aucune idée n'apparaîtra enveloppée dans la gangue des idéologies aventuriéres et torrentielles qui est le mode ordinaire et spontané de la pensée chez presque tous. La page la plus précipitée apparait déjà dépouillée de ses impuretés romantiques, précise et claire, sous la ligne la plus pure. Cet homme pense «en médaille». Et tous ses profils sont augustes. On dirait des monnaies grecques sur lesquelles on aurait frappé l'effigie d'un sophiste.

Sophiste, seulement quant à la transparence mentale, agilité idéologique et beauté du jeu. Ce mot «jeu» qui possède tant d'importance dans l'oeuvre de Xenius, caracterise, non seulement sa doctrine, mais sa manière. Quelque chose du divin désintéressement, de la gracieuse esplièglerie, de la beauté des mouvements, de la force musculaire de l'homme, consacré avec joie et sérieux au sport, se trouve dans ces divagations du «Glosador». Et je dis sérieux, parce que jeu s'entend ici, non dans son sens frivole, mais dans sa portée la plus grave. Rien de plus grave que le joueur authentique. Ors, à aucun moment, ne s'abandonne à de coupables virtuosités. Tout s'enchâsse dans la contemplation initiative du philosophe. Et une scrupuleuse honnêteté gouverne et surveille toutes les fantaisies qui se présentent dans le jeu et que Ors ne repousse pas, mais accueille avec délicatesse et bonne humeur. Notre philosophe est un homme paisible, qui au moins imprime à ses impatiences et inquiétudes un rythme de calme. Et en ton mineur, sans éléver jamais la voix, sans emphase d'acteur ou d'orateur, à voix basse, de causeur intime, il parle avec le lecteur. Cette idée du dialogue est essentielle dans l'oeuvre d'Ors. Jamais d'affirmations dogmatiques. Jamais de conclusions définitives. Avec une exquise courtoisie, le «Glosador» décrit les paysages que ses yeux ont découverts à chaque exploration ou promenade, sur un ton d'explorateur ou de chercheur, d'homme qui n'a pas terminé son travail et veut incessamment le compléter et le prolonger, entame conversation avec les passants. Combien de réserves, combien de délicatesses mentales suppose et exige cette attitude! Le «Glosario» doit donc être écouté —l'auteur a à plusieurs reprises attiré l'attention sur ce point— comme les paroles d'un interlocuteur. Dialogue et non aphorismes ni sentences de philosophie dogmatique, ce qui ne l'empêche pas d'asseoir ses investigations et ses insinuations sur des bases solides. Eugenio d'Ors sait avec una admirable acuité réunir ces conditions qui paraissent et sont pour la plupart contradictoires; une réserve courtoise qui admet et cherche toutes les prolongations et conséquences insolites et inconnues à ses questions; et un répertoire, bien assemblé et systématisé de réponses à cette variété de questions. Eugenio d'Ors est le causeur, ou le chasseur, qui part en chasse ou en causerie, derrière la pièce inconnue. Mais sa carnassière est pleine des souvenirs des pièces dèjà atteintes dans les antérieures explorations. Il attend et cherche la pensée nouvelle et rénovatrice dans la continuité des pensées déjà captées: attitude difficile, dans laquelle Eugenio d'Ors se tient avec une élégance et une honnêteté jamais démenties.

Les bois parcourus appartiennent aux cinq parties de la planète. Mais son fusil est toujours catalan. Eugenio d'Ors, défenseur de l'universalité, a voulu que tout son travail ait un fort accent régional. Son «Glossaire», panorama mondial, a été écrit, jusqu'à maintenant, en catalan. On sait déjâ que le saut dans un espace et un temps concrets est le meilleur tremplin pour tomber au delà de tout temps et de tout espace. La catégorie est éternelle, l'anecdote est universelle, mais l'accent est catalan. La Catalogne se baigne dans la Méditerranée, La Ben Plantada, également. La Méditerranée: d'un bleu… si dense, solide. Mais pas une «mare nostrum», mais la mer à tous. La ligne est hellénique. Les voiles sont latines. Ce bleu est le bleu adriatique des Vénitiens. Mais les quilles de tous les navires la rident. La Méditerranée est une mer et non un lac. Voix basse, voix mineure. Mais en haute mer, voix recueillie d'élégiaque ou voix ironique de sophiste. Mais dans son influence de tous les instants et de tous les courants.

Eugenio d'Ors contemple cette mer large et bleu de la terrasse de son «Glossaire» depuis plus de quinze ans déjà. Son oeuve dirige toute la renaissance catalane contemporaine. Il dépure et affine la langue catalane. Les reflets les plus variés alternent dans ce miroir journalier du «Glosario», court article journalier dans lequel, avec des yeux de curieux et un entendement de philosophe, il écrit la chronique de son temps, transformée en philosophie. Parfois, des oeuvres de plus haute portée font partie du «Glossaire». Ainsi, «La Ben Plantada», son oeuvre maitresse, doctrine de classicisme, de sérénité méditerranéenne et d'ordre méditerranéen. Mais d'une Méditerranée, —il ne faut pas l'oublier,— qui n'est pas la «nôtre», mais celle de tous.

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Última actualización: 2 de mayo de 2008