Eugenio d'Ors
GLOSAS EN OTRAS LENGUAS
OU L'HÉGÉMONIE POUR L'EUROPE, OU LA BARBARIE
Le Troisième Royaume (Le Monde, París, 1-X-1954)
 

Les civilisations sont multipes et périssables, la culture unique et éternelle. Contre les Spenglers de tout poil, contre tous les relativistes de l'histoire, j'ai toujours affirmé qu'en dépit des crises traversées par la culture, il lui est en quelque sorte fatal de ne pas succomber. Il est en quelque sorte fatal qu'elle ne succombe pas. Pour ma part, si j'applique cet axiome a l'Europe, je n'hésite pas à affirmer qu'elle se trouve devant une seule alternative: ou l'hégémonie, ou la barbarie.

Il lui faudra créer d'abord une sorte de condition négative: que les nations s'évanouissent en tant que substance. Ensuite il s'agira de faire naître une conscience de solidarité, à partir de laquelle il sera possible de créer une véritable communauté. Les Etats ne peuvent former cette conscience, car elle ne peut naître d'un geste d'autorité. Elle doit germer peu à peu dans les intelligences, les seules présences de l'autorité ne pouvant être que des institutions, telles que le droit, la monnaie, l'université. Il est impossible que deux pays comme la France et l'Allemagne aient une vie commune si auparavant les universités allemandes et françaices ne déterminent pas un régime général, à partir de dispositions mutuellement très ouvertes.

Une dernière condition à la création de l'Europe est la vitalité des sociétés de moindre importance, des nations dont le territoire ou l'économie sont de petite importance. Ainsi sera recréée une communauté et démontré que l'histoire connaît des constantes. L'Europe répétera la constante de la catholicité, qui répéta et manifesta celle de Rome dans sa lutte éternelle contre une autre constante de l'histoire, celle de Babel, éternelle force de dispersion.

Mais d'abord que les nations se lavent du nationalisme et de tous les relents qu'il laisse dans leur vie et dans leur pensée. Quand cette opération se trouvera totalement consumée, alors sera vécue pleinement la vie de la culture. Quant à l'Espgne, son rôle au sein de cette grande oeuvre, c'est d'unir l'Hispano-Amérique à Rome. Un jour l'homme de Bue­nos Aires comme celui de Panama auront le droit de dire eux aussi: «Civis romanus sum».


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Última actualización: 28 de junio de 2006