Eugenio d'Ors
ENTREVISTAS Y DECLARACIONES
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Conversation avec Eugénio d'Ors
CHEF DU SERVICE NATIONAL DES BÈAUX-ARTS

(La Phalange, 15 août-15 octobre 1938, pp. 15-19)
Le chef de l'Espagne, Francisco Franco, gagne chaque jour, pied à pied, le soi de la patrie et, en même temps, il sait, avec son merveilleux talent d'homme d'Etat, trouver pour les postes de responsabilité et de commandement les hommes doués de la capacité nécessaire et de la connaissance totale des problèmes qui s'y posent. Et c'est ainsi que nous nous trouvons en présence, une fois de plus, de /16/ cette grande réussite du Gouvernement de la Nation: il a porté à la Jefatura nationale des Beaux-Arts un Eugenio d'Ors, dont je ne crois pas nécessaire de dire ici l'importance que présente son oeuvre de philosophe, de poète et d'artiste, puisqu'elle a depuis bien longtemps débordé les frontières de l'Espagne pour devenir une réalité dans les centres cultivés et artistiques du monde entier. Voulant connaître sa pensée, nous sommes venus, dans cette après-midi ensoleillée et froide de février, voir don Eugenio dans son bureau de l'Institut d'Espagne, où il nous reçoit avec sa cordialité et sa sympathie habituelles et, après quelques mots d'amicale conversation, nous nous plaçons sur le plan de l'interview.
— Quelle différence trouvez-vous, au point de vue administratif,  entre les anciennes Directions Générales et les «jefaturas» nationales des Services d'aujourd'hui? demandai-je, pour que cette interview ait aussi une signification positive, officielle.
— Il y a, me répond-il avec sa voix claire et calme, des gens qui négligent les petits détails d'administration. C'est,  à mon sens, une erreur absolue et peut-être, si nous remontons dans le passé, une erreur historique. Je suis, et j'ai toujours été amoureux du travail parfait et du petit détail qui assurent l'axe autour duquel tout doit tourner et qui s'appelle l'Oeuvre. L'Oeuvre bien faite. (Au prononcer de ces deux mots, la voix du poète devient grave et profonde). A cette place que j'occupe, je veux m'occuper de ce détail à tel point que j'en aie les mains pleines de glaise et de couleur.
Et le maître me parle du côté «typique» de l'art, et cette pensée lui suggère la vieille anecdote sur la céramique de Delft qui perdit son caractère et son art, quand elle abandonna le bleu à quoi on la reconnaissait pour reproduire en ses dessins les moulins et les coiffes du pays. Ainsi la peinture espagnole n'est pas «typique» parce qu'elle montre sur ses toiles des types de la Vallée d'Anso, mais bien par son génie du modelage en pleine pâte, par son dessin avec le pinceau et la couleur. Comme il achève ces /17/ mots, je lui adresse une brève question, la question qui est la raison d'être de cet entretien. Et-à cette question, voici ce que répond le nouveau Chef du Service National des Beaux-Arts:
— En assurant la direction de ce Service, je savais bien que, pour les projets dont j'allais me charger, il me faudrait tenir compte, si je puis dire, de leur noyau et de leur pulpe. Le noyau, c'est la dure nécessité où nous met la guerre de veiller au salut, à la restauration et à la récupération des parties précieuses de notre patrimoine artistique, qu'ont égarées la violence, le vol et la destruction sacrilège.
— Et de ces vols en particulier, que pensez-vous?
— Les oeuvres d'art dérobées et présentées sur tous les marchés artistiques de l'univers sont en tel nombre que pour moi l'amertume en est sans cesse plus grande, comme aussi le problème de leur rachat, surtout à cause de l'attitude incompréhensive de certains gouvernements.
—Concernant cette attitude, avez-vous un plan tracé?
— Oui, je pense (et à cela je fais tendre tous mes efforts) que l'on peut arriver à une entente entre les pays pour interdire l'aliénation des oeuvres d'art, comme est interdite déjà celle de leurs citoyens.
— Et,... y a-t-il, Maître, quelque chose d'encore plus pénible?
— Non. Le reste n'est plus qu'un travail agréable. C'est cela, si je puis dire, qui constitue la pulpe en question, pulpe juteuse enveloppant le dur noyau dont je viens de vous parler.
— Et, ce travail?
— Avant tout, je veux réaliser, et très vite, la reconstitution des vieilles corporations, des vieux et beaux métiers dans lesquels on ait un profond amour pour l'oeuvre, pour le travail bien fait. (Et, comme toujours quand il prononce ces mots, la voix du Maître se fait plus douce et plus profonde, comme s'il les dégustait au passage.) Je veux également —et nous avons déjà eu pour cela une première réunion—, former des confréries, dans lesquelles artistes et /18/ artisans d'une même technique échangent leurs opinions et travaillent dans le plus intime accord pour le meilleur accomplissement de leur mission.
Ce sujet entraîne don Eugenio à nous parler des Confréries d'Art religieux de la Suisse française et de la prochaine création à Saint-Sébastien de la Confrérie de Saint-Luc et de celle de Sainte-Cécile, pour laquelle les éléments de l'Orfeón Donostiarra ont donné les plus grandes facilités.
— En ce qui concerne les expositions, avez-vous aussi quelques projets?
— Ouì, je veux voir si, dans une ville de notre Espagne du nord, je pourrais organiser une exposition d'art religieux, de caractère international, afin de distribuer les oeuvres futures de nos églises suivant un point de vue d'art et de liturgie. Je suis d'avis —et vous ane l'avez entendu dire il y a quelques jours—, qu'il ne faut rien reconstruire: ce serait montrer que l'épreuve atroce que nous subissons persistera dans notre pays. Les ruines doivent nous faire autant d'honneur que de chagrin. Le mieux ici est de rappeler le mot de saint Augustin: «Les martyrs ressusciteront embellis par leurs cicatrices»…
A ce moment, le poète qu'est Eugenio d'Ors se tait, jusqu'à ce qu'une question de moi le ramène à son intéressant monologue:
—Tout ce qu'on ferait, me dit-il, pour donner un ton et un style aux commémorations patriotiques serait bien peu de chose, car le Ministre de l'Education Nationale vient de nommer une Commission pour en connaître et dont —symboles de l'héroïsme national—, font partie Pilar Primo de Rivera et le général Moscardó. Je veux aussi m'occuper, d'une façon particulière, des Monuments aux Morts, pour que ces héros aient l'art qu'ils méritent et non pas ces regrettables objets que l'on trouve dans certains pays qui ont pris part à la guerre européenne. Nous aurons aussi, en quelque sorte, une législation pour interdire que l'on remplace les noms de rues traditionnels par d'autres empruntés à l'actualité.
—Et que pensez-vous, Maître, du théâtre? /19/
—C'est une question d'une telle complexité que cette entrevue ne serait pas assez longue pour me permettre de la traiter dans tout son développement. Je dois cependant vous dire que la solution la plus appropriée serait, selon moi, la municipalisation du théâtre, en imposant la représentation de chefs-d'oeuvre des classiques espagnols et étrangers.
Le chef du Service National des Beaux-Arts s'est levé. Il me dit le profond espoir qu'il garde de pouvoir mener à bien son travail, car une époque d'autorité est excellente pour cela. Et, tout cet espoir, il le résume dans cette vieille formule qui sera la dernière phrase de notre entretien: «La lutte pour la culture est une lutte qui s'impose».
Juan H. SAMPELAYO
(Traduction de Francis de Miomandre)

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Última actualización: 1 de febrero de 2012