Eugenio d'Ors
ENTREVISTAS Y DECLARACIONES
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M. EUGENIO d'ORS DÉCLARE À L'ALERTE(1)
(L'Alerte, 4 avril 1942, nº. 81, pp. 5 y 8)

M. Eugenio d'Ors n'a pas besoin, en France, d'être présenté au public. Tous ici connaissent les oeuvres lumineuses de ce haut philosophe, qui fut ministre de l'Instruccion publique de Catalogne, et est, aujourd'hui, secrétaire perpétuel de l'Académie espagnole.
Cet homme grand, solide, ce philosophe souriant et subtil, nous reçoit dans le salon d'un hôtel de Nice. Et, tout de suite, il nous déclare: «La France peut d'ores et déjà, elle peut et elle doit jouer dans le monde un rôle prépondérant».


M. Eugenio d'Ors, lorsqu'il parle de la France, ne cache pas son émotion. Il parle d'elle comme s'il était un de ses fils, avec une fervente tendresse.

—Tous les pays, nous dit-il, sont à un grave tournant de leur histoire. Tous les pays sans exception. En Europe ce sont les régimes autoritaires qui dominent. Ceux-ci ont des avantages et des inconvénients. Et lorsqu'il s'agit de trouver une formule neuve, heureuse, on se demande tout naturellement quelle pourrait être la formule française.
«L'apport de la France pourrait, il me semble, d'ores et déjà s'effectuer. Celle-ci est toute désignée, par sa tradition raisonnable pour inventer des limites à ces formules gouverne­mentales imposées par la dureté des temps qui font de l'exercice libre de l'autorité une question vitale.
La France pourrait, par exemple, décider solennellement de — puisqu'il faut un slo­gan— la séparation de l'Université et de l'Etat. Elle donnerait, en agissant ainsi, un exemple au monde. D'autre part, elle poserait la première pierre du seul édifice qui puisse garantir la paix: l'édifice de ce que j'apellerais le Sentiment de la Communauté humaine».

—Vous voyez donc, Monsieur le secrétaire perpétuel, des universités libres, comme au Moyen Âge?

Parfaitement. L'Europe nouvelle sera L'Europe éternelle ou ne sera pas. Ce qu'il faut ré­tablir, ce sont les possibilités de communication universelle. Le Centre Universitaire, où j'ai été reçu aujourd'hui, c'est déjà une possibilité de communication entre pays de civilisation méditerranéenne. Là est le salut.

—Il faut donc refaire une chrétienté?


—Mais oui. Regardez ce qui s'est passé dans les dernières années. Faute de vouloir ou de pouvoir revenir à la chrétienté, telle qu'elle existait au Moyen Âge, nous avons crée la Société des Nations, qui n'était pas autre chose qu'une canonisation de Babel. Or, la Chrétienté, telle qu'on l'entendait au Moyen Âge, c'est une unité vivante, un esprit et un corps dont les expressions sont des symboles valables pour tous. Voilà à quelle grande tâche peuvent s'employer les Universités, en cessant d'être des fabriques de diplômés d'Etat. Elles retrouveraient ainsi leur rôle incomparable et, mieux que les discours, mieux que le cannon, contribueraient à créer cette communion entre les hommes sans laquelle l'humanité ne saurait vivre.

***
Et M. Eugenio d'Ors nous parle de ce besoin de communion, exalte les vertus du dialogue, et pour nous faire sentir que l'homme n'est jamais seul, il nous raconte avec feu une anecdote: le gran Rodin examinant une oeuvre dont il était lui-même l'auteur, répé­tait en la regardant: «J'ai beaucoup à apprendre de tout cela». Il avait, en effect, le sentiment de n'être pas seul responsable de cette oeuvre d'art.  Une oeuvre d'art pourrait-elle d'ailleurs naître d'un monologue? N'est-elle pas toujours un dialogue? Et l'Inconnu qui fait les répliques n'a-t-il donc pas une part immense dans la création?

—Dialoguons, pousuit M. Eugenio d'Ors. Commençons le dialogue entre peuples de civilisation méditerranéenne. N'oublions jamais la responsabilité que nous avons, nous, envers les autres peuples. Savez-vous que lorsque j'étais étudiant en Bavière, on voyait dans les brasseries plus de portraits de Napoleon que de portraits du Kaiser…
C'est à nous qu'il appartient de tendre sa vie à la chrétienté, à la chrétienté qui s'appuie sur le droit romain, sur la pensée chrétienne, sur le désir de communion. Restaurons la plus haute des communautés, la communauté spirituelle. C'est à cette restauration que la France doir s'employer. Elle le peut, je le répète, en libérant ses universités, et en leur donnant les moyens de commencer à organiser une véritable fédération internationale. Votre grand Maréchal a déjà réussi de plus difficiles miracles.

***
Nous écoutons, émus, ce bel acte de foi en notre pays. Nous savons que celui qui le formule plaide depuis de longues années pour une Restauration de l'Europe chrétienne et pensante, pour une véritable communion humaine.
Et de sentir qu'en ces jours de malheur il vient à nous, toujours aussi ardent por nous, toujours aussi fraternel, plein de grands projects dont il dit que nous seuls suarions en être les ouvriers, nous touche plus profondément que tout autre témoignage.
Cette ardeur que manifeste M. Eugenio d'Ors lorsqu'il convie la France à reprendre, d'abord par ses universités, le rôle incomparable qu'elle jouait sous Saint Louis avec Thomas d'Aquin, Albert le Grand, Henri le Grand le Juriste, Etienne Boileau, auteur du Livre des Métiers, la charte immortelle du ravail; le rôle qu'elle jouait lorsque nos maîtres fran­çais formaient Calvin, Ignace de Loyola, Erasme et tout ce que le monde comptait de grand. Cette ardeur de M. Eugenio d'Ors, dis-je, est pour nous une raison d'espérer. Cet homme qui a toujours vu juste et loin, cet ami fidèle et chaleureux nous fait reprendre conscience de la mission de la France.
Un sourire serein revient sur son visage grave lorsque nous le quittons. Il nous serre les deux mains avec tant d'affection que nous sentons que ce geste chaleureux s'adresse par-dessus nous à la France.
Que M.Eugenio d'Ors, secrétaire perpétuel de l'Academie Espagnole, soit ici remercié d'être venu nous rappeler à nous-mêmes et à un grand devoir en de bien sombres heures,
Guillain de Bénouville

(1) L'Alerte, 4 avril 1942, nº. 81, pp. 5 y 8. La entrevista se publicó precedida de los siguientes titulares y nota de presentación: M. Eugenio d'Ors, Secrétaire perpétuel de l'Académie Espagnole, déclare à l'Alerte. «D'ores et déjà la France peut et doit jouer dans le monde un rôle prépondérant». «Elle seule est capable de créer una communauté spirituelle». M. Eugenio d'Ors, l'ilustre écrivain espagnol, secrétaire de l'Académie d'Espagne, et dont les nombreux ouvrages sont bien connus du public français, avait été, il y a quelques mois, reçu docteur «honoris causa» de la faculté d'Aix-Marseille. Le «Centre Universitaire Méditerranéen», que dirige notre confrère Marcel Lucain, a demandé à M. Eugenio d'Ors de venir inaugurer au Centre une chaire nouvelle, que s'intitulera chaire Cervantes. M. Eugenio d'Ors, s'étant rendu à cette invitation, a été reçu à Nice, en présence de M. Marcel Ribière, préfet régional; de M. Médecin, sénateur-maire de Nice; de M. Barety, ancien ministre; de M, le recteur de la faculté d'Aix-Marseille, et de M. Pons, consul d'Espagne, par M. Mignon, secrétaire général du «Centre Universitaire Méditerranéen». A l'issue de cette récep­tion, M. Eugenio d'Ors a bien voulu accorder à «L'Alerte», fervente amie de l'Espagne nationale, une longue et amicale entrevue. Le secrétaire perpétuel de L'Académie espagnole se souvenant, en effet, que notre directeur, M. Léon Bailby, a été l'un des premiers parmi les journalistes français à soutenir le général Franco dans son oeuvre de restauration patriotique. Le grand écrivain était soucieux avant tout de donner à la France un message d'affectueuse sympathie. Qu'il en soit ici remercié.


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Última actualización: 5 de febrero de 2008