Eugenio d'Ors
ENTREVISTAS Y DECLARACIONES
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LA PENSÉE DE CHARLES MAURRAS
HORS DE FRANCE
Enquête par BERNARD DE VAULX
(Almanach de l’Action Française 1929, pp. 263-267)
Nous publions ci-dessous la suite de l'enquête commencée ici-même l’an dernier sur l'influence de M. Charles Maurras à l'étranger.
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UNIVERSALITÉ ET ACTUALITÉ DES IDÉES DE M. CHARLES MAURRAS

C'est sous ce titre que nous placerons la réponse que M. Eugenio d'Ors, membre de l'Académie royale d'Espagne, nous a fait l'honneur de nous adresser. «Eugenio d'Ors, écrivait M. Jean Sarrailh dans la préface qu'il a faite à ses Trois heures au Musée du Prado, Eugenio d'Ors est au premier chef un philosophe… …S'opposant aux tendances romantiques et pragmatistes de la fin du siècle dernier, à Bergson et à William James, il représente avec vigueur l'école intellectualiste». On le verra nettement dans cette intéressante réponse:
Le critique discernera un jour aisément la présence d'une vertu, à côté des cent autres qui ont fait la grandeur et la gloire de M. Charles Maurras: la vertu d'avoir toujours agi dans le sens de son époque. C'est, en partie, le secret /264/ de la portée internationale d'une pensée qui, dans son application immédiate, se voulait strictement nationale. L'esprit universel s'est insufflé non seulement dans les hautes spéculations qui en forment le sommet, se rapportant à l’ordre éternel ou à la beauté antique, mais aussi dans le moindre de ses écrits de circonstance. Si Hegel définissait ainsi Napoléon: «Weltgeist zu Pferde», —«l'âme du monde, à cheval»— parfois, en lisant un article de M. Maurras, j'ai eu, très nette, cette impression, cette vision que la nuit antérieure, à une certaine heure, l’«âme du monde» avait, un instant, git —lourde d'espoirs ou de menaces— sur le «marbre» d'une imprimerie parisienne mal éclairée.
Ce caractère d’«actualité» puissante, qui, pendant un quart de siècle, a distingué la pensée de Charles Maurras, c'est encore l’une des raisons qui font si difficile la tâche de démêler quelle a pu être son influence particulière dans les courants d'opinion ou dans les événements de tout ordre que chaque pays a pu connaître récemment. M. Mussolini était étudiant vers la fin de la première décade de ce siècle; je l'étais moi-même à Paris; qui pourrait dire quel rôle ont joué, dans les jugements sur la démocratie, par exemple, que chacun de nous élaborait à cette époque, la lecture de telle page d'Anthinéa ou le bout de conversation avec un camarade nationaliste de «la jeunesse des écoles»? Qui, surtout, séparera et fixera le coefficient de collaboration de cette force, qui se manifestait, en somme, dans le même sens que tant d'autres éléments collectifs ou personnels de dégoût, de réaction, de renouvellement, de vocation chez des esprits qui buvaient à des sources très différentes, sans compter les leçons de la réalité, dont l'enseignement objectif devait être forcément pareil pour tous? Mais si, à une heure donnée de l'histoire des idées, a pu être appelé voltairien, en Europe et en Amérique, un état d'esprit —qui procédait non moins de Newton, par exemple, que de Voltaire—, je ne vois pas pourquoi ne recevrait, de nos jours, le nom de maurrassien cet autre état d'esprit, qui justement tâche de rétablir un ordre, que l'étape voltairienne avait ruiné, au moyen —et c'est, en fait, sa singularité, au milieu des différents mouvements idéologiques d'aujourd'hui—, du même instrument qui a servi pour la destruction: c'est-à-dire de l'intelligence. /265/
Ajoutons encore, pour être tout à fait précis, pour être tout à fait juste, que dans l'ensemble des enseignements que nous devons à cette pensée, une distinction s'impose entre des doctrines dont l'identification avec les courants de l'époque était complète et d'autres que certaines circonstances locales ou quelques devoirs d'opportunité conditionnaient plus ou moins étroitement. Monarchisme et nationalisme, comtisme et classicisme, si fortement liés dans l'esprit de M. Maurras ne pouvaient l'être au même degré, forcément chez d'autres esprits qui, à un moment donné, en ont reçu une impulsion stimulante. On peut, en Portugal, par exemple, être monarchiste sans avoir besoin de se dire nationaliste en même temps —en fait le groupement de «A Naçao Portuguesa» a été lé seul à prendre la devise du «nationalisme intégral» comme symbole explicite—. On peut, en Italie, prôner le retour à la tradition classique, tout en croyant, —ou justement parce que l’on croit—, que tout positivisme a fait son temps et que les théories de Comte sont plus romantiques, de beaucoup, que celles de Maine de Biran ou de Descartes. On peut aussi, se plaçant d'un point de vue philosophique, croire à une certaine contradiction inévitable entre monarchisme et nationalisme, entre culture classique et savoir positif. En tout cas, dans les nouvelles tendances qui, dans chaque pays, se dessinent dans les champs politiques et sociaux aptes à recevoir l'influence maurrassienne, une hiérarchie tend décidément à s'établir, une table des valeurs, où la place la plus haute est accordée à ce besoin d'unité, /266/ si caractéristique dans la mentalité contemporaine, et qui choisit la Monarchie comme expression de l'unité dans le pouvoir, le classicisme comme expression de l'unité dans la culture.
Pour ce qui regarde l'Espagne, l'influence personnelle de Maurras s'est manifestée surtout en deux épisodes, de directives mutuellement opposées et d'une valeur de fidélité assez inégale. Le côté nationaliste du maurrassisme avait à un moment donné pu procurer une assez forte inspiration à un mouvement catalan, de couleur séparatiste, qui d'ailleurs s'est empressé de le renier, aussitôt que des difficultés ont commencé à se produire entre Rome et la rue de Rome. Plus intime, plus profond en même temps, l'enseignement dassiciste de la doctrine s'est manifesté en Espagne surtout par le sens de mon oeuvre personnelle, dont la direction antiromantique n'a pas connu de repentirs en vingt ans. Quant au monarchisme, qui évidemment se trouvait en Espagne dépourvu de nuance combative, c'est surtout en Portugal qu'il a pu recevoir des adeptes dont la vigueur et le désintéressement se mesuraient aux sacrifices de son opposition, sinon aux martyres de la persécution.

EUGENIO D'ORS.
de l'Académie Royale d'Espagne.
M. Eugenio d'Ors constate que l'oeuvre de M. Charles Maurras a marqué notre époque de son empreinte. M. Mazzini Pavesi faisait dernièrement la même constatation dans le Resto del Carlino. «La domination de tels hommes est de l'ordre de l’esprit». L'américanisme à outrance n'a pas encore assez envahi les esprits supérieurs d'Europe pour que le rôle des idées sur la marche du monde soit sousestimé.
Quant à la cause profonde de l'influence universelle de M. Charles Maurras, M. Eugenio d'Ors l'attribue au fait que sa pensée, son argumentation ont toujours un caractère d'actualité puissante. C'est à saisir ce joint où l'explication, la pénétration des événements peuvent le mieux illustrer une vérité générale que Maurras, en effet, s'est, l'on peut dire jour-après jour, attaché.
«Rarement, a-t-il écrit, les idées m'apparaissent plus belles /267/ qu'en ce gracieux état naissant, à la minute où elles se dégagent des choses, quand leurs membres subtils écartent ou soulèvent un voile d'écorce ou d'écaille et, dryade ou naïade, se laissent voir dans la vérité de leur mouvement. Alors, leur signification ne prête à aucun doute; alors, nulle équivoque, nulle confusion n'est commise». Etudiant les problèmes politiques il a conclu à la Monarchie parce que c'est le régime qui sert le mieux l'intérêt national, mais également parce que la supériorité de la Monarchie est une vérité universelle. On peut prendre tous ses livres, les uns après les autres, toujours l'on est frappé de ce même souci de servir le Vrai. Qu'admire-t-il chez Sainte-Beuve? Et d'abord l'honnêteté et l'intelligence de son analyse pour arriver à la vérité la plus profonde et la plus humaine.
Il nous sera permis de citer, à titre de preuve, cette phrase de M. Maurras pleine d'une noble passion pour le Vrai qui nous a enthousiasmé quand nous la découvrîmes il y a douze ans. Nous nous plaisons à la proposer pour la définition du bon clerc, depuis qu'une querelle s'est ouverte à propos de son rôle dans les temps modernes: «Avoir raison c'est encore une des manières dont l'homme s'éternise: avoir raison et changer les propos nombreux et ridicules de ses concitoyens, Hellènes ou Français, eu un petit nombre de propositions cohérentes et raisonnables, c'est quand on y réussit, seulement sur un point, le chef-d'oeuvre de l'énergie»…
C'est ce service désintéressé et sublime de la Vérité qui a valu à M. Charles Maurras tant de lecteurs et de disciples dans le Monde.

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Última actualización: 2 de abril de 2012